Pourquoi vous ne voulez pas devenir rentier !

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Vouloir devenir rentier est à la fois un fantasme et une grosse erreur financière. Voici pourquoi.

« Cet homme a pris sa retraite à 35 ans avec cette stratégie d’investissement incroyable et sûre. Vous voulez savoir comment? Cliquez ici »

Le piège à clic financier classique. Je le subit régulièrement, et vous aussi probablement. Il met généralement en vedette un très beau jeune homme / femme sur un yacht, ne travaillant manifestement pas pour vivre, et disposant de beaucoup d’argent malgré tout.

Outre les arnaques grossières que ces annonces ne cachent pas très bien, le message sous-jacent, une des grandes chimères de l’investissement, reste puissant. Il peut être résumé par cette phrase:

« En investissant correctement, vous pouvez facilement gagner assez d’argent pour cesser de travailler, et votre vie sera merveilleuse ».

Beaucoup de sites Web, y compris certains qui ne sont pas des escrocs mais des vrais convaincus, expliquent comment y arriver, comment enfin accéder à une vie où vous n’aurez jamais plus à faire semblant d’aimer votre patron ou votre client. Quel soulagement !

Comme vous pouvez le lire, cette promesse est double. Elle vous assure que « vous pouvez facilement gagner assez d’argent pour cesser de travailler », et elle vous promet que « votre vie sera merveilleuse » en conséquence.

Les deux promesses sont fausses. Ne les croyez pas.

Remarque: je m’adresse ici plus particulièrement aux personnes qui ont le choix de travailler et non bien sûr à celles, en particulier les retraités, qui pourraient ne pas avoir la possibilité de travailler ou qui, à juste titre, méritent bien de ne plus le faire.

Je parle ici à ceux qui pourraient se laisser persuader qu’investir peut devenir une activité à temps plein sûre et lucrative.

Un piège comportemental

La première partie de la promesse est effectivement fallacieuse. Il est en effet très peu probable que vous gagniez suffisamment d’argent pour cesser de travailler (sauf si vous en avez déjà énormément, bien sûr).

En fait, cela vous fera très probablement perdre beaucoup. Voici pourquoi:

1 – Vous allez devenir dangereusement impatients

Pour assurer votre vie quotidienne, vos dépenses récurrentes, vous allez ressentir la nécessité de générer des revenus stables, au moins mensuels. Vous allez donc chercher à obtenir un « rendement » court terme, rendant ainsi tout type d’objectif à long terme impossible.

Lorsque vous travaillez, votre style de vie est financé par les revenus de votre travail et le rendements des investissements permettent d’atteindre vos objectifs financiers à long terme. Ce qui est sain.

Mais si vous décidez de financer ces dépenses courantes uniquement par les retours de vos investissements, vous allez irrémédiablement rechercher à maintenir un équilibre court terme entre vos retours sur investissement et ces dépenses, ce qui est impossible.

Les retours sur investissement sont instables par nature, ils ne peuvent exister sans instabilité.

Ceci est catastrophique pour vos investissements. Vous allez commencer à surveiller ceux-ci toutes les semaines, voire tous les jours. Vous allez essayer de surpasser le marché à très court terme, ou même de vous concentrer sur des stratégies de trading quotidiens. En fait, vous regarderez avec appétit toute « opportunité » qui vous garantie un revenu rapide et régulier.

2 – Vous allez espérer des rendements trop élevés

Comme vous allez définir votre train de vie en fonction de vos retours sur investissement *attendus* et non de vos revenus d’activité, les premiers étant fortement dépendants de vos choix d’investissement, vous allez subir un biais très puissant vous poussant à surestimer vos attentes de rendement.

Vous allez ainsi planifier les rendements de vos investissements non pas en fonction des objectifs à long terme que vous visez, du risque que vous êtes capable de supporter ou de votre horizon de placement, mais en fonction de la vie que vous rêvez de vivre aujourd’hui.

PAS BIEN.

Soyons clairs sur quelque chose: il n’est PAS possible de gagner 10% par an (ou 7% ou 5%, voire 3% …) sans aucun risque, sur quoi que ce soit. Ce n’est pas possible. Si vous le croyez je vous demande de mettre les mains en l’air et d’arrêter d’investir immédiatement. Vous courez un risque énorme de perte, ou pire, d’escroquerie.

Pour le moment, à titre indicatif, le taux réel « sans risque » à court terme (en fait, le risque le plus faible possible) est négatif (au moins en euros). Ce taux sur trois mois est de -0,3%. C’est ce à quoi vous pouvez vraiment vous attendre comme rendement à court terme, sans risque. Pas très réjouissant. Surement pas de quoi payer les vacances au ski de février.

3 – Vous allez donc prendre des risques excessifs

De ce fait, pour essayer d’atteindre ces rendements élevés, vous allez naturellement prendre des risques de plus en plus importants, des risques que vous ne prendriez pas normalement, mais qui présentent un retour *facial* et une régularité de revenus suffisamment élevés pour satisfaire le mode de vie dont vous rêvez.

Ces risques peuvent être simplement des risques de marché, tels que l’application de stratégie de day trading (un très bon moyen de perdre votre argent très rapidement), ou des risques plus insidieux. Des risques que l’on rencontre par l’investissement dans des produits alternatifs sexy comme l’immobilier étranger ou commercial en direct, les actifs sous levier, les produits structurés qui « vous protègent », la dette privée, les métaux et autres biens mobiliers rares… et j’en oublie sous doute.

Je ne dis pas que ces stratégies sont toujours mauvaises, je dis que leur risque inhérent est très élevé, souvent difficile à mesurer, et vous est très souvent caché. Par les vendeurs qui les poussent bien sûr, ou plus simplement par votre confiance excessive (« overconfidence ») dans votre capacité à les éviter: « Je sais très bien ce qui peut arriver, et je sortirai très vite si cela se produit. Aucun risque ».

Le fait est que vous éluderez ainsi certains risques comme étant sans importance, car vous vous concentrerez sur les avantages potentiels et sous-estimerez mentalement l’impact financier de risques plus subtils. Vous sous-estimerez également fortement la probabilité que votre stratégie soit erronée et la gravité de cette erreur. En bref, vous allez gravement sous-estimer vos pertes potentielles.

Par exemple, si vous avez investi dans des biens immobiliers étrangers, avez-vous correctement mesuré: le risque de change (le risque que la devise sous-jacente diminue par rapport à votre monnaie de dépense), le risque opérationnel (incendie, vacance, dégradations, non-paiement des loyers)? et surtout le risque international (incapacité et / ou coûts juridiques élevés pour assurer les revenus dus et même la propriété de biens détenus à l’étranger )?

L’ascension et la chute de Bitcoin en est un autre exemple significatif. Le puissant pouvoir d’attraction médiatique du Bitcoin était précisément de mettre en avant la « liberté » qu’il procure à ses détenteurs. Liberés des états, liberés des banques… et bien sur libérés du travail. Nombreux sont ceux, à différents niveaux, qui se sont engouffrés dans cette bulle gigantesque. Cela n’a pas si bien fonctionné pour beaucoup.

4 – Stress et panique

Le problème avec cette prise de risque excessive est que ces risques sont bien réels et non théoriques. Vous pouvez perdre, vous pouvez perdre beaucoup, et vous pouvez perdre avant même de savoir que c’est arrivé. Vous vous réveillez le matin et boom. Je le sais d’expérience. J’ai payé pour apprendre cela.

Les « stratégies alternatives » qui promettent des rendements élevés et réguliers rencontrent toujours le même sort: un jour, sans vraiment savoir pourquoi, il y a un accident. Ce fameux concours de circonstances totalement improbable qui ne devaient normalement jamais se produire.

Les exemples les plus récents concernent bien sûr encore les cryptomonnaies. Mais un exemple encore plus représentatif est la spéculation sauvage qui s’est produite  il y a deux ans sur la volatilité des indices boursiers américains.

Beaucoup d’investisseurs du type : « j’ai cessé de travailler pour me concentrer sur ma nouvelle vie de spéculateur malin », ont ainsi joué la poursuite de la chute de la volatilité des indices américains, ceci souvent en utilisant un levier important. Ils pariaient sur cette stratégie, car elle avait généré le même résultat appréciable depuis plusieurs années: un « revenu » régulier et élevé, sans avoir à travailler.

Mais le lundi 5 février 2018, ces « stratégies sans risque » ont connu une issue fatale par mort brutale. La volatilité des indices, endormie depuis plusieurs années, a soudainement doublé et les « investissements » sécurisés ont chuté de plus de 90%. En un jour.

Pour les investisseurs classiques, les investisseurs à long terme, il y a bien sûr aussi des temps difficiles, mais ils sont généralement plus diversifiés, plus orientés vers le long terme et leur mode de vie ne dépend pas directement de leurs investissements. Leurs projets à long terme seront peut-être reportés ou modérés. Rien de dramatique, la vie continue.

Mais pour les investisseurs qui fondent mentalement tous leurs espoirs sur la conviction que leur stratégie va fonctionner, il s’agit d’un choc, et ce qui devrait n’être qu’une décision très classique et rationnelle du genre « Aller, je coupe mes pertes et je vais me faire un café » devient une dilemme brutal : « J’ai tellement perdu que si je coupe mes pertes, c’est fini, mes rêves sont terminés, ma vie change totalement ».

Pour sortir de ces stratégies et de cet état d’esprit, ils doivent alors accepter que:

  • Ils avaient tort.
  • Leur vie de rêve n’aura pas lieu. Ils vont devoir travailler.
  • Ils vont peut-être devoir expliquer à leurs proches qu’ils ont perdu beaucoup d’argent.

Pas facile… et souvent la cause soit d’obstination destructrice (« je vais avoir raison ! je tiens ») soit de panique brutale et irrationnelle (« je vend tout, vite et sans réfléchir, et ensuite je cache tout et personne n’en saura rien »).

Ne pas travailler ne rend pas heureux

C’est la deuxième partie de la promesse. Et c’est également faux. Mais la raison en est beaucoup plus simple.

Vous allez vous ennuyer et vous pourriez même vous sentir inutile. Ne pas travailler et rester heureux est extrêmement difficile. C’est comme quand mon ancien mentor, homme plein de sagesse et d’autodérision, me disait il y a 10 ans du haut de ses 80 ans et de son mètre soixante cinq: « Julien, crois mon expérience, vivre en couple c’est difficile, mais vivre seul c’est impossible ». La même logique peut s’appliquer au travail.

Pour ceux d’entre vous qui espèrent encore cesser de travailler pour vivre de leurs investissements, mon modeste conseil serait donc de ne pas le faire. Cela ne fonctionnera probablement pas et cela ne vous rendra probablement pas heureux de toute façon.

Vous le savez, je n’invente rien, ce que nous voulons vraiment, ce n’est pas d’arrêter de travailler. Ce que nous voulons vraiment, c’est de trouver un travail qui vous motive, qui nous donne un sentiment d’utilité. Et oui, parfois, trouver ce poste signifie accepter un niveau de vie moins élevé. Tout a un prix, c’est çà l’économie.

 

 

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