« Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute »
Je commence aujourd’hui une petite série avec pour objectif de montrer que oui, un poète de XVIIe siècle peut encore nous apprendre pas mal de choses, y compris sur nos finances personnelles, à l’heure d’Amazon, chatGPT et bitcoin.
Et pour commencer restons simple, avec le classique absolu : « Le corbeau et le renard », ou, comment nous pouvons nous faire piquer notre fromage financier avec un tout petit peu de ruse et de flatterie.
Vous vous êtes peut-être demandé à l’école « mais pourquoi je dois apprendre çà ? ». Et bien voilà ! Cela va vous servir aujourd’hui.
Petite anecdote, sachez comme l’ignare que je suis, qu’en réalité cette scène était déjà présente dans le roman de Renard écrit environ trois siècles plus tôt au Moyen-Age…
Comme quoi la flatterie çà ne date pas d’hier. C’est presque une tradition française.
Rappelons donc la morale :
Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute
Dur de faire plus explicite d’un point de vue financier. Car oui, en nous flattant les renards financiers de tout poil nous poussent à laisser tomber dans leur museau notre fromage, qu’il soit petit ou gros.
Mais c’est bien de notre faute aussi ! A nous de rester attentif et de ne pas écouter les flatteurs.
Voici donc comment repérer les renards :
Si vous avez l’impression d’acheter un produit de luxe
« La Banque privée »
Le cadre : une adresse prestigieuse, une salle d’attente confortable, moquette épaisse, et le « Wall Street Journal » sur la table. Bloomberg en diffusion continue, « Ah çà, mon bon Monsieur ici les marchés on ne les quitte jamais des yeux, vous êtes chez des grands professionnels« .
S’ajoute à cela un café biscuit bien chaud, et un banquier de bonne famille, élégant et poli, qui vous invite dans un salon privé et confidentiel pour parler de la gestion de vos actifs.
Clairement vous êtes quelqu’un d’important. C’est l’idée.
La banque privée, dont les services spécifiques peuvent être parfaitement utiles par ailleurs (en particulier sur le crédit), a cette habitude de flatter ses clients.
Ce que l’on achète c’est avant tout un statut social. C’est avant tout un produit de luxe. Avant on s’inscrivait à un club de gentleman. Maintenant on va voir son banquier privé, ou à la grand présentation sur l’économie organisée par la banque. Pas grave en soit, vous pouvez très bien souhaiter consciemment acheter ce service. Mais à garder en tête.
Si vous faites parti des « happy few », des privilégiés
« Les investissements à accès limité »
De nombreux investissements ont leur accès limité, tout le monde ne peut y accéder.
Cela commence bien sûr par la mise en place de minimums aux investissements et services que l’on vous propose.
Clarifions définitivement un point : non, ce n’est pas parce qu’un investissement est réservé aux investisseurs qui peuvent mettre plus de 100.000€ que c’est un meilleur investissement que celui qui est ouvert à partir de 100€.
En fait c’est même souvent plutôt l’inverse. Un simple ETF actions mondiales a et va continuer de battre sur le long terme une immense majorité des fonds de Private Equity.
On peut aussi limiter l’accès par le sélection sur le niveau de compréhension de l’investissement : le fait que vous soyez plus expérimenté en investissement, est un critère de sélection. C’est un piège habile.
« Comme vous êtes très intelligent, voici un produit qui vous conviendra, il est très complexe, nous ne le proposons qu’à nos clients capables de les comprendre ».
Enfin on peut vous proposer d’investir en « club-deal ». C’est le grand retour du capitalisme du XIXeme. Vous êtes sélectionnés, vous faites parti d’un club. Tel le club de gentleman à l’époque, seuls les quelques privilégiés (dont vous pouvez faire partie!) peuvent accéder à cette opportunité fantastique.
En particulier faites attention à la chose suivante : si vous avez envie de raconter à votre beau-frère, co-membre du bureau des parents d’élèves ou coéquipier de curling à quel incroyable et rare investissement vous venez d’accéder… c’est un « red flag ». C’est exactement le message que la personne qui vous l’a vendu souhaite que vous reteniez.
N’oubliez pas cette maxime toujours si vraie :
« Investing should be more like watching paint dry or watching grass grow. If you want excitement, take $800 and go to Las Vegas.
Paul Samuelson
Investir est ennuyeux. C’est normal.
Si on vous vend de faire mieux que les autres
« La sur-performance cette flatterie »
Au fond, ce qui est réellement attirant dans le fait de sur-performer n’est pas la pure performance financière, c’est l’ego. Nous avons tous cette obsession de la SUR-performance, que les renards financiers cultivent : « Vous n’êtes pas le premier venu Monsieur Jean Dupont… vous êtes l’élite, vous vous devez d’avoir des investissements qui SUR-performent ».
La performance brute des investissements est un critère de réussite en soi : c’est un score. Littéralement une « performance ». Vous êtes devant les autres dans la vie, donc vous devez être devant les autres dans vos investissements.
Les projets personnels que peuvent permettre de financer une performance régulière et élevée des investissements reste en fait assez théorique, lointaine, floue. L’espoir court terme l’emporte sur la rationalité long terme.
Ce qui se traduit aussi en des termes plus anciens par :
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois
Le problème c’est que « l’espoir » de sur-performer se paye, et souvent cher. Vous n’achetez pas la certitude de faire mieux que les autres, vous achetez, l’espoir de faire mieux que les autres, espoir, qui, dans les chiffres, se réalise rarement. Je vous invite d’ailleurs à lire mon précédent article sur ce sujet : Espoir ou probabilité.
Comme aurait dit Arlette : « On vous flatte on vous spolie ! ». Bref, n’oubliez pas qu’au final, la moquette, les évènements, les investissements et clubs privés, l’espoir de faire mieux que les autres, c’est bien vous qui les payez, et qu’en y réfléchissant vous savez déjà que vous n’en avez pas vraiment besoin.
En somme, ne soyez pas comme le corbeau de La Fontaine et évitez d’avoir comme lui à regretter au final :
Le Corbeau honteux et confus jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Alors prenez les devant. Restez simple, n’essayez pas de deviner où vont les marchés ou comment faire mieux que les autres, pensez uniquement à vos objectifs personnels long terme, et déjà vous aurez fait un bon bout de chemin.
Vous n’investissez pas pour faire mieux que les autres aujourd’hui, vous investissez pour assurer le financement de votre bonheur futur.