Pétrole & Technologie - Une histoire naïve

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Certaines industries sont enracinées dans l’exploration, les découvertes et les désillusions. Voici une petite histoire de deux d’entre elles.

Aujourd’hui, je vais parler de deux industries qui semblent n’avoir aucun lien entre elles. Tout d’abord, leur naissance est distante d’un siècle. L’histoire du pétrole a commencé à la fin du 19ème siècle, la « technologie » à la fin du 20ème.

La première est profondément ancrée dans l’exploration, le sol et le travail manuel. Une industrie physique, lourde, dont le produit sombre et sale ne peut se trouver que dans les profondeurs isolées ou sous des montagnes d’eaux océaniques.

La seconde est crée à partir de rien, sa valeur reposant principalement sur la propriété intellectuelle, et le code. Il s’agit d’une industrie de services créée dans des atmosphères proprettes, douillettes des « open-space » de création de « startup ».

Je vais parler du pétrole.

Je vais parler de la technologie.

Les pionniers

Au tout début, il y eut les pionniers. Ces entrepreneurs et explorateurs aventureux, avaient une idée. Ils ont créé, ils ont creusé. Ils avaient une vision très limitée de ce vers quoi ils se dirigeaient. Mais ils l’ont fait.

À la fin du XVIIIe siècle, le « colonel » Drake en Pennsylvanie et les frères Nobel à Bakou, Azerbaïdjan, ont commencé à creuser et à extraire du pétrole, et ont commencé à le vendre.

En 1975-1976, Bill Gates et « les Steves » ont fait de la place dans leur garage pour coder et construire les premiers ordinateurs personnels sous DOS et Macintosh. Et ils ont commencé à les vendre.

Pendant 20 ans, l’utilisation principale du pétrole était… l’éclairage, rien de plus. Puis vint le moteur à explosion et l’industrialisation de la construction automobile. Et l’industrie est devenue grande, vraiment grande.

Pendant 20 ans, l’utilisation principale d’Internet était l’information et la communication de base des entreprises. Puis les smartphones sont apparus, et l’industrie est devenue grande, vraiment grande.

La ruée

Une fois l’odeur de l’argent facile diffusée, il y eu ruée. Une ruée vers les profits les plus évidents, vers les richesses si facilement accessibles. Tout le monde voulait y aller, tout le monde voulait prendre une part de cette fortune qui tendait les bras.

En Pennsylvanie, les gisements de pétrole se trouvaient à moins de 30 mètres sous la surface. Tout le monde pouvait les exploiter ! Mais méfiance. Tous ces champs étaient connectés. Ceux qui pompaient plus vite allaient gagner le pactole ! Winner takes all ! Et la région connu un boom pétrolier excentrique, et ce boom se propagea.

Depuis les open space de  Californie, un marché mondial était accessible, un marché mondial de personnes ayant besoin d’acheter des produits, de les vendre, de faire de la publicité en ligne, de se connecter, de communiquer. Mais méfiance! Tous ces filons de croissance étaient connectés! Ils n’y avait souvent besoin que d’un seul grand fournisseur pour le monde entier. Moteur de recherche, vente en ligne, réseau social … winner takes all ! Et il eu un boom technologique excentrique, et ce boom se propagea.

Chaque nouvelle découverte de champ pétrolier entraina une ruée similaire. Un essaim de nouveaux acteurs, principalement des jeunes hommes aventureux, ont ainsi afflué dans l’Oklahoma, les Balkans, la Perse, le Texas, la Californie ou les Indes Orientales.

Chaque nouvelle technologie internet entraîna une ruée similaire. Qu’il s’agisse de sites Web « marketplace », de crowdlending, d’intelligence artificielle ou de cryptomonnaies, de fintechs, de medtechs, de legaltechs, des nuées d’entrepreneurs, principalement des jeunes hommes (modérément)  aventureux, se sont et continuent de se jeter sur toutes les nouvelles opportunités.

Naissance et gloire des « Majors »

Au milieu de cette course, des dirigeants plus intuitifs, calmes et rigoureux, ont structuré l’industrie à leur profit. Ils ont créé des entreprises qui se sont développées grâce à une gestion scientifique et à des méthodes strictes. Ils ont regardé la bagarre d’en haut et ont créé des empires:  les « Majors » sont nées.

Aux États-Unis, John D. Rockefeller, grâce à une administration stricte, une recherche active et une expansion agressive, a créé un monstre, la Standard Oil Company. Sa société a progressivement avalé la majeure partie du marché américain. Elle a inventé la technologie de raffinage dite du « craquage » et a acquis une énorme plate-forme logistique, trains et entrepots. Elle devint progressivement l’inévitable intermédiaire pour l’industrie pétrolière. Les petits producteurs DEVAIENT utiliser les services de la Standard Oil Company.

Aux États-Unis, Larry Page et Sergeï Brin ont créé quelque chose qui existait déjà, un moteur de recherche Web. En combinant une expérience utilisateur innovante et intuitive, un modèle commercial intelligent, un codage strict et talentueux et des acquisitions agressives, ils ont créé leur propre monstre. Google est rapidement devenu l’inévitable intermédiaire de l’industrie des technologies. Les petits entrepreneurs DOIVENT utiliser les services de Google.

Et ainsi le marché pétrolier s’est progressivement consolidé autour de quelques grandes sociétés, surpuissantes: Standard Oil aux États-Unis, British Petroleum, Royal Dutch Shell en Europe. Ils contrôlaient tout ce qu’ils voulaient contrôler.

À partir de ce moment, le marché des technologies s’est progressivement consolidé autour de quelques grandes sociétés, surpuissantes : Google, Amazon, Apple aux États-Unis, Alibaba et Tencent en Chine. Ils contrôlent tout ce qu’ils veulent contrôler.

Le combat pour les richesses cachées

Alors, ces entrepreneurs têtes brulées se sont retrouvés avec peu de ressource à facilement exploiter. Ils ont dû se concentrer sur des niches de croissance plus profondes, plus petites, plus inaccessibles. Ils ont du prendre des risques de plus en plus importants, engager des investissements de plus en plus massifs.

Avec la fin du pétrole facile, les activités d’exploration se sont déplacées vers d’autres régions, comme le Venezuela, le Moyen-Orient, l’Alaska ou les gisements offshore. Cela est devenu plus difficile, plus technique. Forer une centaine de mètres dans sont propre pays ne suffisait plus. Lorsque la Russie, l’Arabie saoudite ou l’OPEP ont commencé à limiter l’accès à leurs gisements nationaux, la géopolitique est devenue fondamentale.

Avec la montée en puissance de majors dans les principaux domaines technologiques, Amazon dans les ventes en ligne, Google dans la publicité et Facebook dans les réseaux sociaux, l’innovation s’est déplacée vers des domaines plus isolés, vers des sous-niches de niches Internet. Cela devint plus difficile et beaucoup plus technique, la simple création d’un site Web ne suffisant plus. Lorsque la Chine et d’autres gouvernements ont commencé à limiter l’accès à leurs marchés internet nationaux, la géopolitique est devenue fondamentale.

Et comme les majors grandissaient sans cesse, le meilleur espoir des petits pétroliers devint de pouvoir vendre ou faire financer leurs petites sociétés de forage ou exploration par l’une de ces majors. Commença alors une course pour les petits champs isolés, pour obtenir une avance dans une méthode d’exploitation ou une région très spécifique, afin la rendre attractive pour un rachat, ou un financement. Toute nouvelle découverte suscitait un énorme intérêt, les entrepreneurs restants sur la touche étant prêts à tout pour enfin trouver leur place.

Au fur et à mesure que les majors de la tech grandissaient, le principal espoir des jeunes entrepreneurs devint de créer des entreprises attractives pour le rachat ou le financement par l’une d’entre elles, l’objectif ultime. Toute nouvelle découverte, qu’il s’agisse de l’IA ou de blockchain, quel que soit la difficulté technique ou le peu d’espoir d’une rentabilité future, suscite un intérêt immédiat et parfois irrationnel, les entrepreneurs restants sur la touche étant prêts à tout pour enfin profiter eux aussi de cette opportunité.

Trop grand, trop sombre

Puis vint les tensions, les conflits. Avec autant d’argent en circulation et de moins en moins de moyens faciles de le capter, des arnaqueurs imaginatifs sont entrés sur le marché, et la concurrence acharnée entre les grandes compagnies et les États a commencé à s’aigrir.

En 1979, la compagnie pétrolière française Elf Aquitaine parraina une merveilleuse invention d’Aldo Bonassoli, les « avions renifleurs de pétrole ». Cette invention était censée permettre de dénicher facilement des champs de pétrole cachés dans le sol. Tout cela était une arnaque complète. Le merveilleux gadget n’a jamais fonctionné. Mais entre-temps, il a englouti plus de 250 millions de dollars de financement.

En 2003, Elizabeth Holmes a créé une entreprise étonnante, Theranos, qui était censée être la « licorne » de l’analyse sanguine. 10 ans plus tard, elle fut accusée de fraude massive. Tout cela n’était qu’un mensonge éhonté. Rien n’a jamais fonctionné. Mais entre-temps, elle a réussi à recueillir plus de 700 millions de dollars de financement.

A un moment, les majors pétrolières sont devenues si grosses, si puissantes, si monopolistiques, que la classe politique a pris peur. En 1911, les États-Unis engagèrent ainsi une procédure contre la Standard Oil afin de démanteler ce monstre devenu trop puissant.  Et ils y parvinrent.

Récemment, les majors technologiques sont devenues si grosses, si puissantes, que la classe politique et l’opinion publique a commencé à prendre peur. Une petite entreprise de vente en ligne de livres, Amazon, est devenue si puissante que beaucoup ont commencé à murmurer de manière de moins en moins discrète sur la nécessité urgente de l’éclater, de protéger la concurrence et de protéger le pouvoir politique. Ces sociétés connaitront t’elles le même sort que leurs illustres prédécesseures?

Pas si différentes finalement…

Finalement, « peut-être » que ces deux industries pourraient avoir beaucoup plus en commun que ce que nous pourrions croire.

L’histoire se répète, bien qu’elle adapte son langage. Et cela, parce que quels que soient les changements, les technologies et les innovations, la nature humaine, elle, la racine de toute économie, ne change jamais. Et c’est peut-être la conclusion la plus importante de cette modeste et naïve histoire de deux industries qui ne sont pas si différentes l’une de l’autre après tout.


PS: Pour ceux d’entre vous intéressés par l’histoire de l’industrie pétrolière, je vous suggère fortement de lire The Prize – de Daniel Yergin.

 

Une réflexion sur « Pétrole & Technologie - Une histoire naïve »

  1. I spent 40 years with the oil exploration industry, and I do agree that Yergin is definitely a worldwide  » reference » as an oil business consultant.
    Plus, his book, that he updated on a yearly basis for quite a few years is pleasant for anyone to read.

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