Entreprenariat - Le saut de la foi

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Vous y êtes, votre projet de vie est enfin prêt, vous allez faire le grand saut. Bravo. Voici juste quelques modestes conseils avant de sauter dans le vide.

C’est un peu mon histoire, mais ce n’est pas seulement mon histoire.

C’est un peu une histoire de finance, mais pas seulement une histoire de finance.

C’est une histoire d’entrepreneuriat, mais également de nombreux autres projets auxquels vous pourriez aspirer.

Et cela concerne tout le monde.

Beaucoup d’entre nous commencent leur carrière dans la joie et l’insouciance, avec l’impression que cela durera pour toujours. Malheureusement, un malaise, un questionnement incessant et chronique, apparait souvent aux alentours des dix ans de vie professionnelle. Et il y a un moment où chacun commence à se demander plus ou moins consciemment :

« Mais qu’est-ce que je fabrique encore ici ? »

Et je pense que 2020 a probablement rendu ceci encore plus parlant pour beaucoup d’entre nous. Ahhh 2020…

Beaucoup de choses peuvent déclencher ce malaise. Il peut être fort ou très diffus. Il peut apparaître en quelques années seulement, ou bien plus tard. Mais ce malaise peut vous pousser à changer votre vie, professionnelle ou personnelle, et de manière radicale, brutale.

Comme Néo dans Matrix, lorsqu’on vous demandera quelle pilule vous voulez avaler, avec le choix de rester dans le confort d’une vie connue ou vous lancer vers l’inconnu, vous allez être confronté un moment décisif dans votre vie (en dramatisant un peu quand même avec cet exemple pardon). Ce n’est pas une petite décision. Et vous le savez.

Voici quelques conseils modestes sur la façon de faire ce choix et de vous y préparer.

Mon histoire

J’ai débuté ma carrière il y a près de 15 ans en tant qu’analyste financier buy-side et junior fund manager pour une petite banque privée à Paris.

Pour les non financiers: j’achetais et vendais des trucs sur les marchés financiers pour mes clients.

J’aimais mon entreprise, mes collègues et le travail lui-même.

Chargé d’analyser les entreprises afin de réaliser des investissements pour les clients, mon travail était en effet passionnant. Je devais être curieux, sceptique, analytique et chaque investissement était très différent du précédent. Je devais rester en contact permanent avec l’économie et lire, lire, lire.

Qui donc ne veut pas pouvoir lire à peu près tout ce qu’il veut dans le cadre de son travail?

Les avantages annexes étaient également confortables. Outre le salaire trop généreux et la journée de travail trop raisonnable, je profitais également de bonus appréciables, comme des déjeuners dans des hôtels de luxe, des réunions d’égal à égal avec des cadres bien plus expérimentés et méritants que moi, un bureau individuel calme et haut de plafond et surtout, un monstrueux, bien que totalement surestimé, amour propre.

illustration - investment comity
Une journée de travail usuelle à l’époque de la banque privée. Le comité d’investissement et moi-même. La belle époque !

Mais vint le moment de la remise en question. J’étais rationnel et honnête dans mes jugements, mais d’une manière ou d’une autre, j’ai progressivement pris conscience que quelque chose n’allait pas.

Les revenus de mon entreprise provenaient massivement des frais de nos propres fonds communs de placement vendus à nos clients. Ils nous faisaient confiance pour leur offrir les meilleurs conseils et investissements et rassemblaient leurs actifs dans ces fonds que nous gérions. Mais ces fonds étaient lourdement chargés de frais, entre 2% et 4% par an, et malgré toute ma bonne volonté, j’ai fini par comprendre que n’avais aucune chance de gagner cette bataille perdue d’avance.

Consciemment ou pas, nous ne conseillions donc pas honnêtement nos clients; nous les maintenions dans un système de pensée où nous pensions expliquer nos frais avec ce narratif bancal :

« Ce n’est pas cher car les clients y gagnent plus que nos frais ».

C’était faux, les frais étaient tout simplement trop élevés et nous ne travaillions pas dans le meilleur intérêt de nos clients. Et c’est ce qui a préparé, puis déclenché, mon instant «passons à autre chose».

J’aimais mon travail mais ce n’était pas là comment je voulais le pratiquer. Et ce simple mot est de la plus haute importance.

L’histoire de tous

Mais je ne suis évidemment pas le seul, beaucoup d’autres sont passés par là ou y passeront. Beaucoup d’entre nous ont été confrontés ou seront confrontés à ce moment où nous nous rendons compte que nous devons avancer, prendre le risque de tout changer.

Je parle ici d ‘«entrepreneuriat» dans un sens très conceptuel: se consacrer à un projet risqué mais porteur d’une signification forte, d’une espoir d’accomplissement personnel.

En effet, les mêmes questions peuvent surgir dans de nombreuses situations: par exemple, vous pourriez vouloir vous expatrier – ou bien rentrer chez vous! Vous voulez peut-être créer une toute nouvelle entreprise, ou rejoindre un projet existant. Vous souhaitez peut-être repartir de zéro (dompteur de lion, youtubeur cuisine)…  ou plus simplement changer la manière dont vous faites le travail que vous aimez…

Vous pouvez désirer créer une entreprise « licorne de la tech » ou bien rêver d’une petite entreprise locale mais agile. Vous pouvez enfin avoir pour objectif de donner plus de temps à votre famille, ou à d’autres, bénévolement.

Tous ces projets ont du sens. Tous ont de fortes implications personnelles et financières.

Car au final ils vont soulever les mêmes questions et présenter les mêmes risques.

Les mauvaises raisons d’y aller, les bonnes, et comment s’y préparer

Commençons par les « NE-PAS », les mauvaises raisons de prendre cette décision:

  • Illustration . You allways have a boss
    « Haha! Maintenant je vais pouvoir fumer des cigares et faire travailler les autres pour moi! Pas vrai? »

    «Je veux être mon propre patron»: Un peu naïf j’en ai peur. Même si vous devenez le «patron», vous aurez toujours des clients (espérons-le) ou des personnes qui dépendront de vous, et ils seront votre patron. Ne pensez jamais qu’être «votre propre patron» vous libèrera des contraintes, des délais, des coupes budgétaires (familiales ou professionnelles) ou des interactions avec des personnes que vous détestez profondément.

Il y a des gens que vous n’aimerez pas à travers toute la planète, n’espérez pas pouvoir tous les éviter.

  • « Mon travail est pourri, je veux juste le quitter ». Cette pensée négative est vouée à l’échec, car même si votre travail est vraiment pourri (c’est possible), elle vous poussera à vous lancer dans le premier projet que vous trouverez. Restez positif, gardez la tête froide, vous pouvez certainement attendre encore un trimestre ou deux. Et ceci est tout aussi vrai pour la variante «Je veux juste quitter ce pays qui me file des boutons». Avancez vers quelque chose que vous voulez, ne fuyez pas ce que vous ne voulez pas.
  • « Je ne gagne pas assez ». Eh bien, mauvaise nouvelle, il y a très peu de chances pour vous, de gagner plus avec l’entrepreneuriat, du moins à court terme. Je ne vous dirai pas que l’argent ne fait pas partie de l’équation, mais ne le faites pas que pour çà car vous risquez de vous retrouver à la case départ dans 10 ans.
  • « L’herbe est plus verte de l’autre côté ». Nous sommes tous tentés de convoiter le travail ou la vie du voisin. Le problème est que le voisin en question veut souvent votre travail ou votre vie également ! J’ai entendu des gens qui voulaient créer une entreprise et quitter leur emploi … et exactement le contraire à dix mètres plus loin dans le même cocktail, d’autres qui voulaient eux obtenir une position plus stable, épuisés de incertitude de l’entreprenariat. J’ai entendu des gens qui voulaient rentrer chez eux et d’autres désireux de s’expatrier à tout prix.
  • « Je veux rendre le monde meilleur ». Je force le trait sur la niaiserie bien sûr mais c’est loin d’être inutile. Cette pensée provient souvent de l’impression d’être une personne néfaste, un vil serviteur du grand ou du petit capital.

Bien qu’il soit évidemment très important, pour notre accomplissement personnel de prendre en compte des facteurs extra-financiers, ne surestimez pas l’importance de votre rôle potentiel dans le bonheur futur de l’humanité et donc vos espoirs à ce sujet. Vous allez peut-être changer le monde, mais y contribuer positivement est déjà un bon début. Ne confondez pas être une personne positive et constructive (ce qui est bien) et vouloir être reconnue comme telle (ce qui est de l’ego).

Et ceci m’amène maintenant aux «choses à faire» et à la façon de se préparer:

  • Tout d’abord, pour ceux qui n’auraient pas de projet définitif, envisagez simplement de faire votre métier, mais de manière positive et constructive. Il n’y a pas de bon ou de mauvais métier intrinsèquement, il y a juste des métiers bien ou mal faits (bien que le trafiquant de drogue ou l’infirmière bénévole puissent constituer des exceptions). C’est là que la question du «comment» que j’ai mentionnée plus haut devient vraiment pertinente.

Vous pourriez par exemple penser: « Je suis inutile, je vends des assurances, je veux devenir un dompteur de lions, ou, à la rigueur, un youtubeur globe-trotter ».

Lion Tamer
« Bon, je vais peut-être revenir sur ce que je disais, vendeur d’assurance c’est pas si mal comme métier. Touuuuxxx douuux…kiki tout doux »

Mais courtier en assurances est un métier parfaitement respectable, car les polices d’assurance sont utiles à la société. Ce n’est peut-être pas «sexy» ou «amusant», mais si vous décidez de créer votre propre entreprise, en fixant les prix équitablement, et d’honnêtement conseiller vos clients dans leur meilleur intérêt, ceci en vous posant pour objectif de vie de faire croître cette petite entreprise jusqu’à une taille respectable… je pense que serez heureux.

  • Utilisez votre expérience. Si vous avez choisi d’aller plus loin, n’oubliez pas ce que vous avez appris et ce que vous avez vécu. Quoi que vous fassiez ou vers quoi vous vous dirigiez, je suis presque sûr que votre expérience et vos connaissances seront utiles. Vos emplois et expériences précédentes, mêmes négatives, ne doivent pas être repoussés avec dédain mais utilisés et valorisés.
  • Mesurez vos risques et vos garanties. Nous sommes tous effrayés par nos propres décisions. »Et si j’échouais ? Et si je n’arrive pas à gagner suffisamment pour rendre mon choix pérenne? Et si je me retrouve seul et misérable? ». C’est là que vous devez rester calme et mesurer vos risques, rationnellement.

« Est-ce vraiment sans retour ? Je pourrais revenir ? C’est quoi le scénario catastrophe ?

N’oubliez pas que les gens intelligents qui vous entourent et vous apprécient, en cas de besoin, vous soutiendront. Je suis sûr que vous vous rendrez vite compte que quoi qu’il arrive dans votre projet, l’essentiel devrait être conservé : votre famille et vos amis seront toujours là et ils sont votre filet de sécurité.

  • Soyez respectueux des personnes que vous quittez. Il n’y a absolument aucune raison pour que d’autres personnes autour de vous ressentent la même chose que vous. Il n’y a aucune raison de se vanter ou de critiquer. Ils peuvent tout à fait comprendre votre choix sans vouloir le faire aussi. La devise habituelle « be nice when you go up it will be the same when you go down » (soyez gentil quand vous montez,  on vous le rendra quand vous descendrez) est parfaitement applicable ici. Mais elle pourrait en fait être résumée plus simplement encore : soyez juste sympa, les gens autour de vous le méritent (pour la plupart, certains ne le méritent vraiment pas je suis d’accord).
  • Préparez-vous pour le grand saut. Je vous ai dit que ce n’était pas une question d’argent. Bon… ce n’est pas tout à fait exact. Ce n’est pas uniquement une question d’argent, c’est vrai, mais vous ne réussirez pas si vos besoins financiers de base ne sont pas satisfaits. Il n’y a pas d’avenir pour un projet non financé, désolé, et vous devez vous y préparer. Et ceci signifie que vous devez avoir une préparation financière saine et pragmatique, ou plus simplement: prévoir des revenus. Votre projet n’est peut-être pas une question d’argent, mais l’argent y mettra fin rapidement si ce sujet est grossièrement négligée. Préparez-vous en conséquence.

Bon saut et bonne chance !

Vous êtes donc maintenant face à ce projet ambitieux et vous êtes prêt à échanger la sécurité contre l’incertitude. Tant mieux pour vous. J’espère avoir été un peu utile, ou au minimum, distrayant.

Je suis sûr que cela en vaut la peine, je suis sûr que d’une manière ou d’une autre, dans le futur, vous réussirez. Restez positif, modeste, confiant, agréable avec les personnes que vous quittez ainsi qu’avec les personnes que vous rencontrerez, et pensez à l’argent pour ce qu’il est: un moyen de réussir votre projet. Un outil. Mais un outil essentiel.

Merde ! Et à bientôt de l’autre coté.

Et n’oubliez pas de revoir cette scène mythique pour vous inspirer :

 

2 réflexions au sujet de « Entreprenariat - Le saut de la foi »

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