Le client des roboadvisors ou la recherche du mouton à cinq pattes

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J’aimerais pouvoir commencer dans le style de Raymond Devos par « Le client des roboadvisors français existe, je l’ai rencontré», mais ce n’est malheureusement pas le cas.

Voilà deux ans que les roboadvisors ont débarqués en France. Je travaille dans le conseil en investissement et rencontre régulièrement leurs clients potentiels. Je suis, je pense, dans la cible, j’ai de nombreux amis et connaissances qui le sont aussi. J’assiste régulièrement à des conférences sur le sujet et discute avec les participants…

Mais rien. Toujours aucun client en vue. Impossible d’en rencontrer un. Ni chez Yomoni, ni chez Adzize, FundShop, MarieQuantier, WeSave… ni les autres. Personne. Yomoni revendique bien 1500 clients à fin septembre 2016 (et je les crois) mais je ne dois pas être dans leur cercle.

Je dois pourtant dire que je suis un fervent soutien du concept fondateur. Il apporte pour moi une réelle avancée pour la clientèle de détail, qui a grandement à gagner au développement de ces acteurs. En premier lieu en poussant les grands réseaux bancaires à améliorer radicalement leur offre dans le domaine, qui est obsolète, médiocre et chère (aie-je dit exorbitante ?). Gestion passive, ETFs, allocation diversifiée d’actif… que du bon, on ne peut pas être plus d’accord sur ces concepts sains et modernes.

Alors pourquoi, oui pourquoi est-il si difficile de trouver l’un de leurs clients ? Celui-ci est-il rare parce qu’il n’a pas encore compris que ce service lui convenait, ou est-il rare parce que ce service en réalité ne lui convient pas ?

Pour répondre à cela repartons de la base et décrivons le point par point :

  1. Il est suffisamment à l’aise avec internet. En gros il sait ou peut comprendre comment ouvrir un compte-titre ou contrat d’assurance-vie en ligne. Il est donc plutôt jeune (cela sort en effet une part non négligeable des personnes de plus de 40-50 ans et la majorité des retraités).
  2. Il a confiance dans les transactions en ligne. Il est prêt à faire des virements et confier des montants importants sans n’avoir jamais rencontré personne physiquement. Cela ne coule pas de source pour beaucoup.
  3. Il a de l’argent à investir. Ceci implique qu’il en gagne assez pour épargner, il est donc plus probablement d’une catégorie socio-professionnelle élevée. Ceci implique aussi qu’il n’a pas de crédit immobilier qui absorbe sa capacité d’épargne, donc qu’il n’a pas encore acheté sa résidence principale, qu’il ne souhaite pas le faire, ou qu’il a déjà remboursé.
  4. Il n’a pas trop d’argent (encore !). Être géré par un « robo » c’est être géré comme tout le monde… et cela ne plait pas à tout le monde. La gestion privée reste vendue comme un produit de luxe, un club fermé, un signe extérieur de richesse. Les roboadvisors se vendent pour le moment comme un produit grand public, donc repoussant pour une clientèle recherchant aussi une reconnaissance sociale. Bien sûr ils ont raison, et tout le monde devraient rationnellement choisir sur des critères financiers (ou sociaux) ses investissements, mais ce n’est pas le cas pour le moment. Le client est donc plutôt un client de détail c’est-à-dire qu’il possède moins de 100.000 € à placer. D’ailleurs Yomoni ne s’y est pas trompé en axant l’une de ses campagnes de communication autour du message « nous sommes une alternative au Livret A ».
  5. Il a confiance dans la bourse. Il peut choisir un profil défensif bien sûr mais au final il va devoir signer un document lui disant en grosses lettres qu’il peut perdre 5% 10% 20% voire plus. Beaucoup préfèrent la rassurante illusion de ne pouvoir jamais perdre avec un petit investissement immobilier locatif défiscalisant « pépère ». En France la bourse a mauvaise côte et même des couples de 30-40 ans seulement avec des moyens conséquents préfèrent souvent la solution « rassurante ».
  6. Mais il ne doit pas s’y intéresser trop non plus ! Le principe du « robo » c’est qu’on n’a rien à faire, c’est automatique. Du coup tous ceux qui sont impliqués personnellement dans la gestion de leur patrimoine risquent de ne pas trop s’y intéresser non plus. Ou alors uniquement si ils « baissent les bras » après des pertes importantes.
  7. Enfin ses actifs financiers ne sont pas bloqués ailleurs : s’il a un contrat d’assurance-vie il hésitera à en ouvrir un autre et perdre l’antériorité fiscale, s’il a un PEE il ne pourra rien en faire immédiatement. Même si il a un compte titre ou PEA il hésitera à payer les frais de cession ou de transferts des titres. Si il a déjà investi dans une petite entreprise ou un biens immobilier locatif il ne pourra pas investir non plus, surtout si il l’a fait à crédit.

Résumons :

Les roboadvisors sont donc à la recherche d’un client assez jeune, à l’aise et confiant envers internet, connaissant les marchés financiers mais ne s’y impliquant pas trop, avec de l’argent mais surtout pas trop, ne souhaitant pas acheter sa résidence principale tout de suite et ayant ses actifs disponibles sur des comptes non bloqués qu’il est prêt à fermer malgré les pressions de son conseiller bancaire qui lui dit que si un jour il veut un crédit cela sera plus difficile sans apport ou actifs déposés…

Aie. Je comprends mieux pourquoi je n’arrive pas à trouver… il me semble rare en fait ce personnage !

Bien sûr certains de ces prérequis restrictifs pourraient disparaitre progressivement. Mais cela peut prendre du temps. Rappelons-nous que les comptes en ligne existent depuis de nombreuses années, et, malgré tout le bien qu’on peut en dire (et je suis le premier), les clients ont toujours du mal à passer le pas. L’humain reste rassurant et le tout numérique inconfortable quand il s’agit d’argent.

Maintenant il me reste à demander aux roboadvisors d’élargir leur clientèle, ceci en faisant tout pour la rendre moins sélective. En particulier il est grand temps que les roboadvisors se posent la question suivante : Qu’apporte spécifiquement ma technologie pour mes clients ? L’utilisation des ETFs ou la diversification sont de très bonnes choses mais n’ont rien à voir avec la technologie. Elle permet de faire accéder des clients plus modestes à un investissement boursier, c’est vrai… mais en ont-ils besoin ?

Ainsi il leur faut trouver des moyens de rendre leur service utile et attractif à des clients plus fortunés et ce n’est pas facile. Cela demande de passer à l’étape suivante du concept : agréger les comptes, automatiser le conseil fiscal et juridique et l’intégrer dans le conseil en investissement. Mais la marche technologique est dure à passer ! J’ai deux trois idées à leur soumettre sur le sujet si ils le souhaitent.

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