L'investissement socialement responsable est t'il vraiment responsable ?

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Cet article a été initialement publié le 11 octobre 2016 sur le site de mon entreprise. Il reste néanmoins d’actualité et intéressant pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu. Je le porte ici avec quelques mise à jour.

L’investissement socialement responsable (ISR) est une belle idée, en forte croissance. Mais l’application est t’elle bonne ? Le but recherché est il atteint ?

 

Cela faisait un certain temps que je voulais regarder cela de plus près. L’investissement socialement responsable (ISR) a toujours attiré mon attention, même si il restait malheureusement un peu confidentiel. J’y voyais un moyen de lier investissement et finance à une fin directement positive. Formidable.

J’ai donc sauté sur l’occasion quand on m’a proposé de me rendre aux « Ateliers de la finance responsable » organisés par une société spécialisé dans ce domaine.

Les fonds Socialement Responsables (ISR) choisissent leurs investissements selon des critères financiers et des critères sociaux. Pour la plupart d’entre eux ceci s’exprime en pratique par un refus d’investir dans des entreprises non respectueuses de l’environnement, ou possédant un mauvais bilan carbone, ou encore peu respectueuses de ses employés. Les variations sont nombreuses, mais dans l’ensemble ces fonds ont une approche discriminante de l’investissement : ils refusent d’acheter les canards boiteux.

Ils sont par ailleurs principalement souscrits par des organismes à but non lucratif possédant une cause propre, mais souhaitant, comme il m’a été expliqué ce jour-là : « ne pas reprendre d’une main ce que l’autre donne ».

La journée s’est bien déroulée, l’évènement était bien organisé avec des intervenants compétents et passionnés. Des associations et des fondations venaient présenter leur cause et leur passion pour l’investissement socialement responsable. Mais au fil du déroulé, j’ai senti monter un doute. Non pas sur l’honnêteté ou la bienveillance des orateurs, encore moins sur leur compétence, mais sur le sens de tout cela tel qu’il était présenté.

Car en fin de compte l’investissement socialement responsable tel que majoritairement pratiqué a t’il un sens ?

JE VEUX DE LA SOUS-PERFORMANCE !

Surprenant mais oui. Je m’explique.

La première des questions que je me suis posée, et que les orateurs n’abordaient pas vraiment, est la suivante : si l’investissement socialement responsable a un effet social concret, cet effet social a forcément un coût financier. C’est inévitable, les investisseurs responsables doivent forcément « donner » une partie de leur rendement pour payer pour cet effet social positif. C’est même sain. Du coup quel est son coût ? En terme plus technique : quelle est la sous-performance des fonds ISR ?

En effet dans des marchés où, sans naïveté, toute inefficience est arbitrée sans pitié par les acteurs classiques (irresponsables ?), un investissement refusant sciemment l’alternative la plus rentable ne peut que donner une partie de son rendement pour cela, où augmenter son risque. Ceci devrait donc se matérialiser de la sorte : les fonds ISR devraient sous-performer, à risque équivalent, les fonds classiques en fonction de la fermeté de leurs critères sociaux…

… ou de leur efficience.

Et oui car si les fonds responsables n’ont qu’un effet social limité, soit du fait de leur simple manque (provisoire j’espère) de poids soit de leur politique activiste inadaptée, il est parfaitement normal qu’ils ne présentent pas de sous-performance significative.

Ainsi quand j’entends : « C’est formidable on peut investir de manière responsable et cela ne coute rien », je pense tristement « C’est dommage car cela veut sans doute juste dire que cela n’a pas d’effet ». En fait, malheureusement, même dans ce cas cela coute : analystes, responsables, services spécialisés, temps et ressources non utilisés pour soutenir la cause principale de l’association ou fondation.

On a ainsi deux possibilités pas forcément très réjouissantes à priori : soit les fonds socialement responsables ont une réelle influence et dans ce cas ils coutent en sur-performance, soit ils n’en ont pas et coutent tout de même mais en ressources d’analyse.

Il semblerait au vu des analyses produites par les acteurs du secteur, allant plutôt dans le sens d’une absence de sous-performance (ce qu’ils pensent être une bonne chose), que ce soit plutôt la seconde alternative qui l’emporte. Mais la question est loin d’être tranchée, dans les débats ou les statistiques.

La sous performance des fonds ISR devrait exister pour valider la réalité de leur action sociale. Son inexistence, si elle est avérée, est probablement un signe de leur malheureuse inefficience, soit par manque de poids, soit par manque d’efficacité de leur politique activiste.

JUSTEMENT PARLONS-EN DE CET ACTIVISME.

Tout d’abord petite anecdote idiote de la part d’un homme plein de bonne volonté :

J’ai toujours un doute quand je prends un café au bureau. En personne responsable et soucieuse de participer à l’effort collectif pour l’environnement, dois-je plutôt consommer mon café dans un verre en plastique ou dans un mug. D’un côté je crée des déchets potentiellement mal recyclé, de l’autre côté je salie le mug qui devra par la suite être nettoyé avec de l’eau, eau que je sais devoir économiser. Bref. C’est un peu torturé mais cela illustre bien l’un des problèmes fondamentaux de la notion de responsabilité :

Il faut faire des choix, car il est impossible d’être responsable sur tout, de tout. La décision la plus responsable est bien souvent subjective, et comporte des effets secondaires négatifs. Pire encore, et c’est le cas dans cet exemple simpliste : la plupart du temps il est impossible, faute de données suffisantes, de savoir qu’elle est la décision la plus responsable.

Autre exemple plus sérieux cette fois bien qu’ultra classique: doit-on privilégier la lutte contre le réchauffement climatique (les générations à venir) ou la lutte contre la pauvreté (les contemporains) ? On aimerait faire les deux mais est-ce toujours possible ? Quand la Chine produit de grande quantités d’électricité par des centrales à charbon elle fait clairement le choix de la lutte contre la pauvreté par le développement économique, mais à quel coût écologique !

Il y a donc une vraie contradiction dans l’activisme social total des fonds ISR. Vouloir faire tout le bien est irréaliste, des choix sont inévitables dans l’activisme social. Et quand je reprends le slogan « ne pas reprendre d’une main… », j’ai bien du mal à ne pas le trouver manichéiste et présomptueux, bien que plein de bonne volonté. D’un point de vue pratique il est impossible pour les fonds ISR de se prévaloir d’un investissement totalement responsable socialement.

En particulier, nombreux sont les acteurs de la finance responsable qui se concentrent avant tout sur le bilan carbone des entreprises dans lesquelles ils investissent. De leur propre aveu c’est un des seuls domaines où ils possèdent assez de données pour travailler, c’est-à-dire séparer les bons des mauvais élèves. Mais ils sont plus limités sur d’autres domaines comme par exemple les conditions de travail des salariés, le recyclage, le travail des enfants, l’égalité homme-femme… et j’en passe beaucoup. Donc ils travaillent avec pour objectif d’avoir un bon bilan carbone sur leur portefeuille, laissant le reste un peu de côté. D’autre part ils rencontrent, et c’est bien normal, de vrai difficultés pour mesurer les effets sociaux concrets de ces prises de position.

Plus ennuyeux encore, concernant la politique activiste discriminante : elle est séduisante mais contre-productive d’un point de vue strictement politique. En effet si les fonds ISR choisissent uniquement les entreprises et investissements responsables et excluent tous les autres, ils ratent un vrai levier qui est d’influencer ces dernières, pour le meilleur.

Les investisseurs responsables acquièrent ainsi des droits de vote dans des entreprises qui ont déjà pris conscience des enjeux, et laissent les autres, moins responsables, aux mains des investisseurs classiques, naturellement moins enclins à pousser des politiques socialement responsables. C’est dommage ! Quitte à payer les investisseurs classiques autant que ce soit pour pouvoir donner son avis ou mieux, son vote, là où cela serait utile !

Exemple classique pour résumer :

Un fonds ISR, sur la base d’informations solides et d’analyses rigoureuses, décide d’écarter un producteur d’électricité du fait d’un mauvais bilan carbone lié à un choix de production favorisant le charbon, avec un investissement en R&D trop faible sur la désulfurisation, le captage de CO² ou encore l’augmentation du rendement thermique. Dans la logique discriminante c’est parfaitement valide.

Oui mais cela a malheureusement deux effets contraires au but social recherché:

1. Si l’investissement représente assez de poids, en faisant pression à la baisse sur les cours, il va offrir des opportunités d’arbitrage à la hausse à des fonds classiques empochant la différence. En simplifiant, les investisseurs responsables donnent ainsi indirectement de l’argent aux investisseurs classiques, pas aux causes, en pensant faire le bien. Oups.

2. D’autre part, cela laisse la gouvernance de cette société totalement libre de continuer dans sa ligne actuelle négative car personne ne viendra mettre à l’ordre du jour le choix de déplacer la production vers des sources renouvelables, potentiellement moins rentables, ou d’investir en R&D sur l’amélioration du bilan carbone.

En bref je suis peu convaincu par le mode d’action choisi par la plupart des fonds ISR pour agir socialement. C’est très dommage car tout cela part d’une très bonne intention, et que les ressources sont là avec plus de 700 milliards (source Novethic) fin 2015 investis en France sur des fonds intégrant des contraintes ISR (et bien plus aujourd’hui).

MAIS ALORS QUE FAIRE QUAND ON VEUT BIEN FAIRE ?

Oui, parce tout cela n’est pas très positif. Alors que faire ?

Et bien choisir, cibler son action. Choisir entre deux manières plus efficaces d’exprimer son attachement à une utilisation responsable des ressources financières à but non lucratif, d’optimiser l’effet social des dons et legs reçus. Choisir la cause ou les causes que l’on veut défendre et s’y attacher totalement, sans dispersion.

1 – LA CAUSE, RIEN QUE LA CAUSE

Se concentrer sur sa cause, et elle uniquement. Un organisme à but non lucratif est spécialisé sur un domaine social bien particulier, domaine où il maitrise les coûts et mesure les résultats avec précision. Concentrer toutes ses ressources disponibles sur cette cause unique est sain. Les ressources sont utilisées de manière optimale. Pour faire plus clair : pas d’ISR. L’investissement est dans ce cas libre.

J’entends la critique à cela : « à quoi cela sert de défendre votre cause si vous êtes irresponsables ailleurs, si vous reprenez de l’autre main etc. ». Mais là il faut tout de même rappeler une fois pour toute qu’investir de manière traditionnelle n’est pas forcément agir de manière irresponsable. L’investissement est utile à l’économie, une économie solide est utile à l’humanité dans son ensemble. La cupidité et l’absence d’éthique dans l’investissement ne l’est pas, mais on peut très bien investir hors ISR sans pour autant être nuisible à l’humanité. Il y a un juste milieu.

Reprenons. Ceci a en outre l’avantage de ne pas poser le problème majeur du non-respect du devoir fiduciaire des organismes récipiendaire de legs et dons. En clair quand un donateur décide d’un don ou legs, il le fait avec pour objectif de soutenir la cause de l’organisme qu’il choisit. Il ne décide pas d’utiliser cet argent pour financer d’autres causes comme la lutte contre le réchauffement climatique, même si il y serait probablement sensible. Son choix doit être respecté.

Ceci est d’ailleurs particulièrement vrai pour la Fondation de France : les fondations sous égide sont fondées avec une cause très spécifique à défendre. La Fondation de France, en affectant une partie des ressources des fondations ainsi abritées à d’autres causes par le biais d’investissements socialement responsable, utilise potentiellement une partie de ces ressources pour financer son propre agenda social et environnemental.

Ce n’est pas bon, en tout cas si cela n’est pas explicité au préalable et laissé au libre choix des donateurs. En revanche, si c’est le cas, et que l’activisme financier est assumé, structuré et officiel, il peut être très utile, mais encore uniquement si il est conduit avec une logique positive, de sélection et non d’exclusion.

2 – UN ACTIVISME CAPITALISTIQUE PROACTIF ET SELECTIF

Dans ce cas l’investissement socialement responsable peut en effet prendre tout son sens. Que ce soit en parallèle de sa cause principale, ou même sa cause principale en elle-même, l’investissement à but d’activisme capitalistique social et environnemental a un sens fort et une vrai utilité potentielle. Les investisseurs responsables devraient pousser les gérants de fonds ISR dans cette direction.

Celui-ci consiste à utiliser les actifs des fonds ISR pour acquérir non pas des sociétés vertueuses mais au contraire, comme je l’ai évoqué, et c’est bien sûr un peu contre-intuitif, des sociétés présentant des politiques sociales insuffisantes. L’idée est d’utiliser la force financière mutualisée des organismes à but non lucratif pour influencer positivement la gouvernance des sociétés, ou les aider à financer le déficit de rentabilité de projets possédant une composante sociale (C’est l’ISR « thématique » encore réduit mais en croissance). Bien sûr cela implique un poids important pour avoir un effet, mais rien n’empêche de commencer avec modestie par de plus petites entreprises.

Ainsi l’investissement socialement responsable pourrait trouver une réelle influence : les gérants de fonds ISR ne seraient plus des juges de concours de beauté sociale mais des lobbyistes chevronnés, avec pour mission de sélectionner et d’influencer des cibles présentant un réel potentiel d’amélioration sur une cause précise, de taille permettant d’acquérir un poids décisionnel suffisant, et présentant un rentabilité qu’il serait possible de maintenir par une transformation sociale adaptée.

Il serait même possible de créer des fonds ISR qui ne seraient pas spécialisés par classes d’actifs financiers (« Actions Européennes ISR ») mais par cause. Ainsi les organismes pourraient investir dans des fonds « ISR sur le climat », « ISR pour l’égalité homme-femme », « ISR en faveur de la réduction des inégalités sociales », et choisir leur cause avec précision, en accord avec leur politique sociale, tout en conservant un rendement certes plus faible (tant mieux !) mais suffisant pour financer les actions de leur cause principale.

Dur travail. Mais bien utile ! Je le souhaite.

2 réflexions au sujet de « L'investissement socialement responsable est t'il vraiment responsable ? »

  1. En faite l’idée serait de créer des fonds qui investiraient dans les société connus pour ne pas performer dans la cause choisit par le fond dans le but de peser sur ses orientations politiques.

    Peut-on vraiment encore parler d’investissement dans la mesure où le fond est décorrélé des performance financières de l’entreprise ?

    Ne serait-il pas plus « rentable » de financer directement des lobbyistes au niveau de l’État pour contraindre toutes les entreprises à corriger leurs défauts par la loi ?

    1. « Peut-on vraiment encore parler d’investissement dans la mesure où le fond est décorrélé des performance financières de l’entreprise ? »

      Les fonds ne seraient pas totalement décorrélés des performances financières de l’entreprise. Ils continueraient à prendre un risque capitalistique sur les entreprises en question et seraient rémunérés pour cela. C’est juste qu’ils influeraient pour le meilleur dans la gouvernance de la société, en poussant des stratégies potentiellement moins rentables d’un point de vue strictement financier.

      « Ne serait-il pas plus “rentable” de financer directement des lobbyistes au niveau de l’État pour contraindre toutes les entreprises à corriger leurs défauts par la loi ? »

      C’est une possibilité, et déjà largement utilisée par les grandes associations, tel Greenpeace par exemple. Mais c’est à placer du coté « action » de l’association. Même si une association est active dans ce domaine, elle devra toujours investir les capitaux dont les revenus financent son action. D’où le choix : soit j’investis sans limitation pour obtenir les revenus permettant de soutenir une action la plus forte possible, soit je concède un peu sur l’action pour me permettre d’influer également dans mes investissements.

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