Guide de survie pour gérants actifs dans la jungle passive hostile

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C’est une période bien déprimante pour les gérants actifs. La poussée de la gestion passive est brutale, aussi bien dans les différents médias que dans les flux de collecte/décollecte des fonds. Qui aurait cru il y 10 ans que John Bogle, oui John Bogle le fondateur de Vanguard, deviendrait la pop star qu’il est aujourd’hui ! Impossible de regarder tranquillement mon fil twitter sans que son visage n’apparaisse ou qu’une de ses nombreuses citations ne soit relayée. L’idole des jeunes.

Et pour la collecte c’est encore plus effrayant : avec plus de 30% des actifs gérés passivement aux Etats-Unis fin 2016 et une progression qui n’a pas l’air de perdre en vigueur, les gérants traditionnels peuvent commencer à avoir peur. A raison.

Mais le matraquage continuel anti gestion active est devenu si fort et si consensuel, et la réponse donnée par la gestion active d’une si effrayante médiocrité, qu’on peut en arriver à se demander si tout cela ne va pas un peu trop loin. Alors bien sûr je suis le premier à râler et taper du poing contre ces vilains gérants cupides, mais je commence quand même à me demander s’il ne faudrait pas les aider un peu à trouver la sortie. Critiquer a ses limites, proposer est plus constructif.

Oui, car je suis persuadé que la gestion active n’est pas « morte » comme les extrémistes de l’ETF, les adorateurs de Jack semblent le penser. Ah çà il y a du travail ! Je ne vais pas le cacher. Mais leur utilité économique à terme est certaine, et leur place dans le grand monde de l’investissement, assurée… si ils se décident enfin à une vraie réforme en profondeur.

Voici donc les 7 changements que je propose et qui pourraient faire la différence entre un gérant vivant et un gérant mort dans la jungle hostile de la gestion collective des années à venir.


  1. Baisser les frais ! Beaucoup ! Cela ne va pas leur faire plaisir du tout mais c’est bien évidemment la première règle de survie. En fait je ne devrais même pas avoir à le dire tant c’est une évidence. Un fonds actions européennes qui espère survivre avec des frais annuels supérieurs à 1% n’est pas réaliste et la réalité le rattrapera. Bien sûr cela veut dire que les gérants actifs vont devoir dire adieu à leurs rémunérations excessives pour revenir à des niveaux beaucoup plus raisonnables, et compétitifs, mais qu’ils ne s’y trompent pas : ce sera cela ou une baisse encore plus brutale par le biais d’une suppression de leur fonds et de leur poste… cela a déjà commencé.

  2. Limiter l’investissement à un horizon d’investissement clair et stable. Dans un environnement où les roboadvisors se développent, où l’allocation d’actifs redevient le cœur du conseil financier et où les ETFs affichent une exposition très transparente, les fonds actifs doivent eux aussi afficher clairement leur exposition. Ils doivent devenir des blocs indépendants, « pure player » de leur classe d’actif, afin de faciliter leur utilisation par l’allocation. Le bottom up n’est plus à la mode dans l’allocation et on choisit de plus en plus un fonds pour la ou les classes d’actifs qu’il véhicule plus que pour son hypothétique alpha. Les fonds d’allocation variable ou les boites noires vont être de plus en plus difficiles à vendre…

  3. Se « benchmarker » à un ETF. Quitte à avoir un horizon d’investissement clair autant se comparer frontalement à un ou plusieurs ETFs passifs et faire face au danger, assumer. Un fonds actif qui croit en sa valeur ajoutée doit se comparer à son homologue passif. C’est d’ailleurs un bien meilleur benchmark puisqu’il est « investissable ». Bien sûr du coup il risque une sous-performance tangible, mais les investisseurs vont de toute façon les y comparer de plus en plus naturellement. Surtout, ils peuvent ainsi accompagner et non plus subir le mouvement vers les ETFs, qui n’est pas juste une fuite vers les moindres frais mais également un retour en force de l’allocation, une rationalisation.

  4. Faciliter grandement les entrées/sorties. Il est déjà grand temps d’en finir avec les droits d’entrée/sortie non acquis au fonds, émanations d’un autre temps où les rétrocessions étaient reines. Ce n’est plus le cas. Ces droits doivent être représentatifs des frais réels de transaction au sein du fonds (0,1-0,2% pour les actions semble raisonnable par exemple), et acquis au fonds bien sûr ! Il faut par ailleurs arrêter définitivement les valorisations hebdomadaires ou même mensuelles pour ceux qui les pratiquent encore. Une alternative, encore meilleure, serait même tout simplement de choisir une structure de type ETF. Un fonds actif, discrétionnaire, non automatisé (le smart beta existe déjà pas besoin de le réinventer), sous forme d’ETF.

  5. Jouer la transparence totale sur la composition. Un des problèmes majeurs des fonds actifs est qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Quand un investisseur voit une ligne « Notre Super Genial Fonds Patrimoine » sur son portefeuille il ne peut pas faire le lien avec les sous-jacents. Obligations ? Actions ? Lesquelles ? Ce n’est pas uniquement une question d’allocation d’actif, c’est aussi une question de réalité économique. Les investisseurs doivent pouvoir passer au travers de l’enveloppe juridique du fonds pour voir quelle partie de l’économie ils financent concrètement, et quels sont leurs risques. Tout gérant de fonds devrait ainsi donner accès à la composition de ses fonds en temps réel par le biais de son site internet, ou encore mieux par le biais d’une API. Transparence, technologie, les roboadvisors vont adorer.

  6. Afficher de la modestie quant aux résultats potentiels de l’analyse financière. Les gérants actifs sont bien trop sûrs d’eux quand ils expliquent leur stratégie et leur méthode d’analyse. Combien de fois ai-je entendu un gérant me dire qu’il avait « une gestion de conviction » sélectionnant des titres qui sont forcément tous « sous valorisés par les marchés ». Malheureusement ce n’est pas si facile que cela, et cela commence à se savoir. Connaitre et afficher ses limites, avancer une méthode crédible fondée sur des faits économiques avérés, des analyses scientifiques, et aux résultats mesurables, et non juste des dogmes financiers et des opinions de gérants, voilà ce qui pourrait relever la crédibilité de la gestion active. Le mythe du « gérant-star » a en effet du plomb dans l’aile.

  7. Se fixer une tracking error minimum. Vous avez bien lu. Minimum. S’ils veulent se différencier des fonds passifs, les fonds actifs vont devoir être, et bien … actifs. Fini les closet indexors, place aux vrais gérants qui font de vrais paris discrétionnaires. Quitte à se tromper. Avec des frais comparables ou très légèrement supérieurs aux ETFs, les investisseurs vont pouvoir choisir des fonds avec une réelle possibilité de surperformance. En fait même une sous-performance n’est pas forcément dramatique, il y a diversification du risque discrétionnaire et l’investisseur y gagnera sur le long terme.

Voilà vers quoi je souhaite que la gestion active s’oriente. Moins de frais, plus de transparence, plus de liquidité, plus de stabilité, plus de diversité, plus de crédibilité tout simplement. Ceci devrait lui permettre non seulement de survivre dans ce nouvel environnement hostile, mais même de profiter de celui-ci, en s’y adaptant totalement pour redevenir un concurrent sérieux à la cohorte d’ETFs suivant bêtement un simple indice boursier par capitalisation.

Car au final, voulons-nous vraiment tous avoir pour seul critère d’investissement la capitalisation boursière des titres ? Cela vous semble t’il raisonnable ? Je ne crois pas. Moi en tout cas cela ne me suffit pas, et je veux des vrais gérant actifs, modernes, n’en déplaise à John Bogle. Puissent ils écouter ces conseils.

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